Comment revendiquer l’anonymat et faire naître une œuvre vide

Pour l’exposition OpenScreens #3 les organisateurs ne m’avaient pas mis de cartel… J’ai été comme anonymisé, invisibilisé. Mon nom a été effacé. Involontairement ou parce-que j’avais réservé mon emplacement en retard. En tout cas, cette aventure m’a poussé dans mes réflexions sur l’anonymat et l’effacement et m’a amené à créer une nouvelle pièce. Je pense a reproduire cet effacement, cette absence. Sans être anonyme. Le spectateur pourra obtenir l’information de l’auteur et du titre s’il le demande, par contre il n’y aura pas (ou plus) de cartel.

Un morceau découvert en cassette grâce au frère d’un copain de ma classe de seconde

Anonyme à l’envers

Inversion de l’histoire anonyme

Mettons que tout soit à l’envers : si on commence par mettre les 2 variables que je n’ai pas : l’argent et la célébrité. Oui, le concept d’artiste anonyme devient génial, ah c’est une œuvre de copeau, tu sais celui qui a fait ci et ça. Si si, tu sais il est très connu. Sauf qu’il ne signe rien, on ne le voit jamais. Bon, dans le même genre on a quand même Banksy et tous les anonymes qui utilisent l’art d’une manière politique et pour eux, l’anonymat est obligatoire. Mais est-ce la même chose vraiment. Ne pas du tout mettre de nom et mettre un pseudo pour rester anonyme ?

Dans les 2 cas, ne sachant pas qui se cache derrière le pseudo, on peut être seul·e, homme, femme, trans, un animal, un groupe… Et est-ce la même chose de le faire une fois connu et de laisser le savoir, ou de ne pas le faire et de laisser planer le doute voire laisser tout le monde dans l’ignorance la plus totale. Les laisser dans le noir. Faire une pièce vide, noire, une vidéo de vide noire qui dure 100 ans comme celle de Pak. Une vie n’est rien sur des échelles différentes, est-ce son message ? Ca me rappelle l’album de XX avec une chèvre (me rappelle plus le titre, ça va me revenir…) que tout le monde croyait d’Aphex Twin, mais qu’il démentait, disant qu’il s’agissait d’un duo.

Doute The Tuss

Je suis resté dans le doute jusqu’à aujourd’hui puisque je viens de faire la recherche pour retrouver le nom derrière XX, il s’agit de The Tuss – Rudge EP, et sur discogs on apprend qu’il s’agit bel et bien de Richard D James 🙂

J’avais donc cet album, qui s’ajoute à ma longue liste d’albums perdus…

Finalement, Karen Tregaskin est Aphex Twin. Et Aphex Twin a continué à s’anonymiser un peu plus avec user18081971 et user48736353001 en 2015 quand il a sorti plusieurs titres de derrière les fagots sur soundcloud. Ca me rappelle un autre artiste appelé unknown ou untitled mais il est très dur à retrouver…

Vide, inframince ultrasidéral

Si je poursuis mes rapprochements avec l’art contemporain, je trouve Marcel Duchamp et son alter ego féminin : Rrose Sélavy. Un hétéronyme et une pièce à part entière. De la même façon que j’ai perdu The Tuss, j’avais un recueil de poèmes de Rrose Sélavy que je ne retrouve pas. Ce n’était pas l’édition originale mais une belle édition achetée à Beaubourg, qui la reprenait très fidèlement : même couverture, même typo, même mise en page mais avec une couverture rose (dans mes souvenirs en tout cas). Certaines œuvres et possessions sont vouées à la disparition. Ou bien comme le dit John Cage : on ne possède rien.

Notre poésie maintenant C’est de comprendre que nous ne possédons rien

Silence: Conférences et écrits – John Cage – Editions Contrechamps et Héros-Limite Genève 2012, p. 121

Du silence au vide

L’artiste devient l’œuvre et l’œuvre matérielle n’a pas besoin d’exister. Je me demande ce que Marcel Duchamp ferait des NFT. Peut-être est-il temps de revendiquer les non NFT, une partie du silence comme John Cage, Matthieu Salandin et sa playlist de silence et tous les autres. Ou Ciccone Youth qui met le silence sous cloche. Revendiquer minter le vide. le mettre dans un NFT. Je vais créer une œuvre de vide unique. Le vide d’un espace temps de mon existence, comme un POAP, qui représenterait mon vide, ou le vide du monde et pourquoi pas le vide intersidéral. 1 minute, 1 seconde, ou 3 heures, 3 minutes, 3 secondes pour rappeler une trinité et retrouver mon obsession du 27. 3 x 3 x 3 = 3 au cube = 27.

Mais c’est déjà trop pour rien. Et si on applique une vision verticale du temps on peut dans cette minute | seconde | instant inframince observer en même temps toutes les minutes, toutes les secondes de tous les instants. Le vide sidéral ou le tout intersidéral ? Est-ce qu’en arrivant dans le vide on se retrouve dans le tout ? Le tout | vide serait un genre d’anneau de Moebius ? Une fin de nullité marquant la totalité de son opposé ? En étant nul je suis total. Si je minte le vide je minte alors la totalité de l’art. Passé, présent futur, puisque le temps se retrouve dans la même configuration.

Naissance d’un idée

Bon, je crois que j’ai bien travaillé. Je vais maintenant minter 1 seconde de vide, marquant ainsi de mon nom, la propriété de tout 🙂 Le pb, c’est que je n’ai pas l’adresse qui recenserait toutes les autres pour toucher des royalties ;). Et pour le fichier je ferai un .png ou jpg de 0 octet, ne contenant évidement rien, l’œuvre étant contenu dans le nom, ce qui en fait déjà trop, mais elle doit se faire connaître, pour qu’on sache qu’elle peut ne pas exister l’instant suivant et rester l’inconnue du vide, totalement indissociable. Peut-être faut-il inventer un contrat qui au moment de l’achat de l’œuvre enclenche un Burn de l’œuvre, la destruction du NFT. On n’en voit plus aucune trace dans la blockchain (ce qui est impossible).

Et toi, comment interprètes-tu le vide ? Partage tes pensées dans les commentaires ou sur les réseaux sociaux avec le hashtag #LArtisteCryptoVide.

Création de l’œuvre vide

La création de l’œuvre « vide.jpg », fenêtre sur le vide, œuvre vide :

Au moment de minter le fichier vide.jpg, foundation est resté bloqué sur l’upload et manifold m’a indiqué que mon fichier était corrompu… Un fichier jpeg valide doit obligatoirement contenir un minimum d’un pixel.

On pourrait créer ce fichier facilement avec imageMagick.

Je l’ai fait pour tester et le fichier faisait 160 octets ce qui est logique puisqu’on crée de l’information.

J’ai refait le gif pour qu’on voit que je crée puis détruis le fichier vide.jpg. Puis j’ai minté ce gif qui atteste de sa création / disparition. Je ne l’ai minté que sur Goerli (le réseau ethereum de test) pour l’instant, car le réseau était trop engorgé et il m’aurait coûté plus de 11 euros de le frapper. J’attendrais une heure plus propice.

vide.jpg, édition 1/1, foundation, copeau

J’en ai profité pour créer 2 autres versions : le vide sonore vide.wav et le vide video vide.mp4.

Je pense que je fais de l’art durable, propre, auto-suffisant et complètement recyclé. Ma pièce est de plus très minimaliste puisque qu’elle ne prend pas de place. Elle pourrait en prendre encore moins si je faisais le contrat moi-même. Peut-être pour une autre série : rien ou personne ou nul ou j’en ferai 3. Artiste nul.

L’interprétation du vide par Midjourney

Avant de faire mon vide personnellement j’avais demandé à Midjourney de me donner son interprétation du vide mais ça ne m’a pas plu. J’ai préféré créé le vide plus simplement.

le vide, le rien, ce qui n'existe pas, la totalité du vide et du néant - @copeau (fast)

Comme je n’étais vraiment pas satisfait, j’ai refait quelques prompts et j’ai obtenu quelque chose de beaucoup plus intéressant :

the void, the nothing, what does not exist, the totality of the void and the nothingness, black and white photography, Canon EOS R6, Canon RF 50mm f/1.2L USM lens, FujiFilm Pro 400H film --q 2 --v 5 --no man road floor

Comment imagines-tu le vide ? Est-ce que MidJourney a vu juste ?

Rien, Personne, Silence

En parlant d’inconnu, j’ai chez moi un ouvrage d’Anonyme sur le Rien dans lequel l’auteur dédie son ouvrage à Personne. Il commence son livre un peu comme mon histoire parisienne. Dans son épître dédicatoire, il explique pourquoi il dédit son livre à Personne, car inconnu

Quand enivré de la folle vanité de se faire un nom dans la République des lettres, j’ai quitté le tranquille séjour de la province pour venir me transplanter à Paris, […]

Eloge de rien – Anonyme – Editions Allia – p. 9

Personne n’est venu le voir, Personne ne l’a consolé, personne de l’a soigné, Personne ne lui a prêté d’argent, c’est donc logique qu’il dédie à Personne son éloge du Rien.

Et un peu plus loin, il rejoint aussi mon idée (ou je rejoins la sienne ? ou on pense en même temps 🙂 que le tout et le rien ne sont pas si différents.

Rien ne vient de Personne et tout ce que nous voyons dans la nature vient de Rien.

Eloge de rien – Anonyme – Editions Allia – p. 16

Et comment parler de rien, du vide, sans parler de John Cage (que j’ai déjà cité plus haut) et ses conférences sur le silence. Voici par exemple ce qu’il dit (écrit) pour introduire sa « Conférence sur rien » :

Ce dont nous avons besoin, c’est du silence, mais ce dont le silence a besoin, c’est que je continue à parler.

Silence: Conférences et écrits – John Cage – Editions Contrechamps et Héros-Limite Genève 2012, p. 120

Car les deux s’attirent, le vide appelle la forme, sans vide pas de forme, sans silence pas de son. Le vide, le rien, beauté, poésie, rien n’est plus parfait.

Comment vois-tu le vide ? Est-ce un espace à combler ou un espace d’opportunités ? Est-ce que le vide t’attire vers la contemplation ou t’incite à la création ?

sources :
Comprendre le temps grâce à la relativité – Vidéo – National Geographic
Silence, Conférence et écrits – John Cage – Edition Contrechamp et Héros-limite
Eloge de Rien – Anonyme – Editions Allia